Les figures de l'horreur

Julia Kristeva publie en 1980 un essai fascinant sur l'horreur dont on peut relire la 4ème de couverture ici, ainsi qu'un entretien qu'elle a donné pour France Culture.

"Le voici maintenant cet habitant des frontières, sans identité, sans désir ni lieu propres, errant, égaré, douleur et rire mélangés, rôdeur écoeuré dans un monde immonde. C'est le sujet de l'abjection."
Julia Kristeva, Pouvoirs de l'horreur : essai sur l'abjection, Édition Seuil 1980, Collection : Tel Quel



Les attentats du 13 novembre de cette triste année 2015 s'imposent à nous comme une autre figure de l'horreur. Car la barbarie a un visage bien humain qu'il serait trop commode de réduire à la barbarie, trop simple d'extraire de l'humanité. S'abaisser à cette facilité, c'est quelque part leur donner raison. Ils seraient autre chose que des hommes mais quoi? des animaux? Dieu?...

Pourquoi? Primo Levi nous l'explique brièvement dans son récit depuis les entrailles de l'horreur par cette règle : "ici, il n'y a pas de pourquoi". La psyché a horreur du vide de l'horreur alors chacun fomente ses théories. Lorsqu'il fut un temps où les attentats touchaient prioritairement une partie de la population, l'ensemble qui demeurait indemne pouvait toujours se rassurer. Parmi les grands de ce monde, on assistait même parfois bien malheureusement à ce retour du refoulé antisémite. Ainsi, Raymond Barre, premier ministre, eut cette déclaration à propos des attentats de la rue de Copernic (1980) :
"Cet attentat odieux voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic". 
Elucubration qu'il n'a jamais démentie.

Idem en 2012 quand Merah s'en prend à des militaires français et à des enfants juifs. Nul n'est descendu dans la rue comme en janvier 2015 après les attentats de "Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher". "Je suis Charlie". On pouvait toujours se dire qu'il s'en était pris aux autres. L'identification est d'autant plus massive en novembre qu'elle touche aveuglément et par opportunisme tous ceux qui ont le malheur d'exister à cet endroit-là. Elle est loin désormais l'idée de l'importation sur le sol français du conflit Israëlo-Palestinien. Et pourtant, le 13 novembre 2015, ailleurs c'est partout et tout le temps.

Aujourd'hui, on nous dit, c'est la guerre avec une facilité déconcertante. L'urgence de la réponse jusqu'à la tentation vengeresse très bien décrite par Jean-Pierre Filiu. Mais il y a d'autres types de défenses qu'il ne faut pas négliger. Déjà, ne pas hésiter à éteindre la télévision et limiter l'apport en réseaux sociaux... A l'exception de certaines sottises distrayantes que l'on peut lire ici ou .

Il faut également et bien évidemment s'intéresser aux mécanismes du fanatisme pour mieux les déconstruire. Fethi Benslama nous invite à repenser cette position psychique très particulière.

De la nécessité de comprendre leur langage si l'on veut le(s) combattre. Pour cela, Philippe-Joseph Salazar, prix Bristol des Lumières, rhétoricien, nous livre certains outils.

Au travers l'hyper complexité de ces événements, il ne faudrait pas non plus négliger l'apport psychanalytique... et pas seulement dans l'urgence psychologique. La "prise en charge" psychique ne peut se limiter au temps de l'effervescence médiatique au risque de "psychiatriser la tristesse"... C'est d'ailleurs la très médiatisée Hélène Romano qui nous en dissuade. C'est toujours après qu'insiste le risque d'effondrement mélancolique. Quand il n'y a plus personne...

... La psychanalyse doit nous aider à comprendre comment un être humain se "radicalise" selon l'expression consacrée. Comment la force de vie d'un groupe peut se renverser en son contraire et capter la subjectivité de ceux qui le composent avant de les confondre avec le moi-idéal de l'être prétendu supérieur de cet ensemble. Chaque-un devient alors le bras armé du porteur de l'idée la plus cruelle.
Il faut pouvoir susciter le doute dans cette infinie certitude, "déradicaliser" avec toutes les difficultés que cela représente, y compris éthiques. Et puis, remettre du symbolique dans ce qui ne tient plus, lutter contre la faillite des valeurs communes... courage, espoir et la force d'aimer et vivre. 



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